La semaine dernière, nous avons eu l’honneur d’accueillir le Dr Amadou Tidiane Bah à Marseille. Membre du réseau des médecins généralistes communautaires de Guinée (COMEC-GUI), le Dr Tidiane s’est installé en tant que médecin généraliste communautaire il y a 10 ans dans le cadre d’un projet de médicalisation des zones rurales mené en Guinée par Santé Sud et Fraternité Médicale Guinée.
Cette visite a été l’occasion de revenir sur son parcours inspirant, son choix de pratiquer en milieu isolé, les défis qu’il a rencontrés, et son souhait de voir le métier de médecin généraliste communautaire reconnu en Guinée.
Pourrais-tu te présenter et partager avec nous ton parcours ?
Je suis le Dr Amadou Tidiane Bah, connu sous le nom de Dr Tidiane, médecin généraliste communautaire installé en zone rurale en Guinée depuis 10 ans, dans le village de Bouroudji, dans la préfecture de Labé, ma région d’origine.
Dès mon plus jeune âge, j’ai souhaité devenir médecin. J’ai été marqué très tôt par les difficultés d’accès aux soins pour les personnes habitant en milieu isolé. Le centre de soins le plus proche de mon village était à 7 km et géré par un aide-soignant. L’hôpital de référence le plus proche était à 100 km. Pour y arriver on devait marcher 15 km avant de trouver un véhicule. Le véhicule de transport ne passait que deux fois par semaine. Le trajet prenait alors plus de cinq heures en raison de la mauvaise qualité des routes. En 1994, j’ai été mordu par un chien enragé à 17h, nous avons marché 5 km, pour dormir et attendre le véhicule. Je n’ai obtenu le sérum antirabique que le lendemain à 10 heures. Bien que la situation se soit améliorée, l’accès aux structures de santé reste encore difficile.
Après mes études universitaires, j’ai découvert la médicalisation des zones rurales (MZR) et les projets de Santé Sud grâce à une formation sur les soins de santé primaire dispensée par le Dr Abdoulaye Sow, actuel Directeur Exécutif de l’ONG Fraternité Médicale Guinée (FMG), partenaire de Santé Sud pour la mise en œuvre des projets de MZR.
Quand j’ai appris qu’un appel à candidatures était lancé par FMG et Santé Sud pour installer des médecins dans ma région d’origine, j’ai postulé et ai été retenu. Je voulais ainsi être utile à ma communauté. Nous avons suivi une formation théorique et pratique à Parakou, au Bénin, auprès de médecins généralistes communautaires déjà installés. Cela a dissipé mes inquiétudes concernant mon futur métier (risques d’isolement, équilibre financier du cabinet médical, etc.).
Ensuite, j’ai réalisé des études de faisabilité dans plusieurs sites cibles avant de décider de m’installer à Bouroudji. Il s’agissait de s’assurer des besoins de santé de la population desservie par mon futur cabinet (environ 10 000 personnes) et de leur capacité financière à payer pour les soins que j’allais prodiguer (comme les autres médecins généralistes communautaires, j’exerce en libéral et facture les soins).
Santé Sud et Fraternité Médicale Guinée m’ont accompagné pour ma formation, l’équipement en médicaments et consommables été n matériels médicaux de mon centre, en moyens de déplacement, pour le suivi des activités, via du compagnonnage, etc.
Nous avons organisé une grande réception à l’occasion de mon installation, avec beaucoup de communication dans tous les villages autour de Bouroudji. Dès le lendemain, j’avais déjà 10 patients et je devais prendre en charge un accouchement.
Ce n’était pas facile au début car je venais de terminer mes études. Je manquais de confiance en moi, mais au fur et à mesure, je me suis amélioré grâce à de nombreuses lectures et aux conseils de mes confrères. J’avais constitué une liste de médecins référents pour chaque spécialité, ce qui me permettait de les appeler à chaque fois que c’était nécessaire pour des conseils.
Aujourd’hui, mon centre est très fréquenté. Grâce aux revenus liés à mon activité, je parviens à prendre en charge cinq salariés : deux infirmiers, une sage-femme, un agent d’entretien et moi-même. C’est une belle preuve de réussite. Actuellement, je viens de terminer un master en Gestion des projets et je souhaite développer des projets avec le COMEC-Gui, toujours dans le but d’aider la communauté.
Avec mes confrères, nous avons créé une association professionnelle représentant les médecins installés en milieu rural portant le nom du Collège des médecins généralistes communautaires « COMEC-GUI ». Au sein du COMEC-Gui, après le poste de secrétaire exécutif, je suis actuellement trésorier et chargé des affaires sociales et à l’organisation.
En quoi la médicalisation des zones rurales répond-elle de façon pertinente et pérenne aux enjeux d’accès aux soins de la population dans ta région ?
Je suis très concerné par la qualité des soins en zone rurale, connaissant les difficultés que rencontrent les habitants pour accéder à des soins de qualité dans ces régions isolées.
Un des principaux problèmes est le manque de médecins dans ces régions. Le milieu rural représente un désert médical. Les centres de santé (CS), structures publiques installées dans toutes les régions, sont principalement gérés par des infirmiers voire des agents techniques de santé qui ne sont pas formés aux soins médicaux. Ainsi, certaines personnes ne voient jamais de médecin de leur vie.
Depuis que les médecins généralistes communautaires ont été installés en Guinée, on constate un réel engouement de la population qui a compris leur plus-value : des soins de meilleure qualité, moins de déplacements vers les hôpitaux régionaux, etc. Certains centres de santé nous adressent des patients chroniques.
Aujourd’hui, mon centre est très fréquenté. Nous effectuons en moyenne vingt consultations par jour et nous sommes ouverts 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, surtout pour les urgences, contrairement aux centres de santé de base qui ferment pour la plupart à 19h. Les gens viennent de très loin pour nous voir, jusqu’à 15 km, dépassant parfois cinq structures de santé (non médicalisées) avant d’arriver chez nous.
Nos principales activités concernent les soins curatifs pour les maladies infectieuses qui sont les plus fréquentes (paludisme, infections respiratoires, diarrhées, la fièvre typhoïde), les gastrites, …. ainsi que le suivi des maladies chroniques comme l’hypertension, le diabète et les maladies cardiovasculaires.. Pour le suivi de l’épilepsie, nous orientons les patients vers un centre FMG situé à 30 km dans la commune urbaine de Labé. Nous assurons également des activités préventives (consultation prénatale, accouchement, planification familiale, vaccination de routine pour les femmes enceintes, etc.)
Les recettes varient selon les périodes. En moyenne, nous générons environ 35 millions de francs guinéens par mois (environ 3 500 €). La période d’affluence se situe entre juin et septembre, en raison de recrudescence des cas de paludisme pendant la saison des pluies ainsi que les maladies diarrhéiques. Pendant la période de soudure, nous avons des difficultés de recouvrement des coûts car certains patients se font soigner à crédit faute de moyens. Notre politique consiste à demander au malade de payer la moitié des frais de l’ordonnance pour que nous puissions couvrir le coût des médicaments.
Grâce au partenariat du COMEC-GUI avec Fraternité Médicale Guinée et l’ONG Belge Mémoïsa, nous avons lancé trois micro-projets pour augmenter les revenus des plus vulnérables : construction d’un moulin, gestion d’une pirogue et la saponification. Une partie des recettes générées par ces microprojets est dédiée aux indigents pour leur prise en charge médicale. Une liste d’indigents est établie pour chaque communauté. Initialement, un fonds existait pour prendre en charge les indigents. Quand un indigent tombait malade, le relais communautaire nous adressait le patient que nous prenions en charge et facturions. Le projet payait la facture à la fin du mois.
Quels sont les enjeux actuels de la médecine générale communautaire en Guinée ?
Un de nos enjeux actuels concerne la viabilité économique de nos cabinets médicaux communautaires. Dans certaines régions, selon les difficultés financières de la population, il est plus difficile de maintenir l’activité d’un médecin généraliste communautaire. Il faut donc être très vigilant dans l’étude pré-installation pour s’assurer que le modèle médico-économique de chaque futur centre médical communautaire est équilibré. Normalement, le district sanitaire et le CS doivent nous fournir des intrants (kits de soins, vaccins, moustiquaires, etc.). En retour, nous menons des activités préventives gratuitement et déposons chaque mois un rapport au centre de santé. Cependant, pendant les cinq premières années, nous n’avons pas reçu ces intrants, ce qui nous a contraints à référer les patients vers le CS pour des vaccinations, par exemple. Récemment, l’UNICEF, à travers GAVI a fourni des frigos et des outils de suivi, mais ce n’est pas encore effectif partout. Désormais, certains districts ont compris l’intérêt de notre travail et nous dotent en intrants pour la planification familiale, les consultations prénatales, les accouchements, la vaccination, etc.
Par ailleurs, nous cherchons la reconnaissance du métier de médecin généraliste par le ministère de la Santé et la faculté des sciences et techniques de la santé. Dans ce sens, COMEC-GUI vient de signer une convention avec le Diplôme d’Etudes Spécialisé (DES) de Médecine de Famille de la Faculté des sciences et techniques de la santé de Conakry, ce qui nous permet de témoigner dans le cadre des formations de la spécialité « médecine de famille ». Il est désormais possible de co-encadrer les mémoires des étudiants qui pourront effectuer des stages chez nous. Nous souhaitons poursuivre le développement de ce partenariat pour que les étudiants passent des stages obligatoires en zone rurale dans nos cabinets. Peut-être que certains auront ainsi le goût de prendre le relais dans les CMC. De plus, nous collectons dans nos structures beaucoup de données intéressantes à exploiter pour les étudiants, à travers les registres de consultations et le dossier médical patient informatisé, développé par DataSanté.
Jusqu’à présent, nos données d’activité étaient intégrées dans celles de notre CS de référence, ce qui rendait donc nos activités peu visibles. Nos données sont depuis trois mois inscrites sur une plateforme (DHSI 2) disponible dans tous les CS et hôpitaux, ce qui donne de ce fait beaucoup plus de visibilité sur notre activité propre. Cela va nous aider dans notre travail de plaidoyer pour la reconnaissance de notre plus-value dans le système de santé guinéen. Pour nourrir ce plaidoyer, nous avons également besoin de rédiger un référentiel métier du médecin généraliste communautaire en Guinée, en lien avec la faculté des sciences et techniques de la santé et le ministère de la santé.
Un dernier message ?
Je souhaite que Santé Sud et FMG continuent d’accompagner la MZR et le COMEC-Gui. Je souhaite également que les autorités sanitaires, au niveau national, régional et de district reconnaissent notre métier et nous accompagnent car ce que nous faisons est pour le bien de la population et pour une meilleure couverture sanitaire du pays. Nous avons régulièrement des demandes d’installation de médecins dans les communautés. En effet, les premières installations ont bénéficié d’échos favorables. À titre d’exemple une personne ayant construit un centre dans son village pour la communauté souhaite y accueillir un médecin. Un de mes amis a également réussi, avec sa communauté, à construire un centre et cherche maintenant un médecin. Le besoin est vraiment là ! Enfin, en ce qui me concerne, tant que je me sens utile pour la communauté, je resterai à Bouroudji.