Maroc

Entretien avec Souad Benmassaoud, Coordinatrice nationale du réseau LDDF-injad contre la violence du genre au Maroc et partenaire de Santé Sud sur le projet SentinElles

Peux-tu te présenter et nous expliquer ton rôle au sein du réseau LDDF-injad ?  

Souad Benmassaoud, je suis la coordinatrice nationale du réseau LDDF-injad contre la violence du genre ainsi que la chargée du projet 3inaya-SentinElles. Ma mission est de coordonner les activités : superviser le travail du réseau, réaliser le suivi de nos activités et de nos interventions, réaliser également le suivi du travail des centres d’écoute, et de chapeauter l’élaboration du rapport annuel sur la violence que le réseau LDDF-injad présente avec ses partenaires du Réseau Femmes Solidaires. Cela à l’occasion du 25 novembre pour la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.

En quelques mots, en quoi consiste le travail du réseau LDDF-injad ?  

S.B. : C’est une structure membre de la Fédération des Ligues des Droits des femmes. Elle a pour mission de lutter contre les violences faites aux femmes et la promotion des droits des femmes. Ce travail est principalement fait à travers l’accompagnement et la prise en charge des victimes et survivantes de violences au niveau de nos centres d’écoute et du centre d’hébergement. Nous effectuons également un travail de sensibilisation et de vulgarisation des droits des femmes et de promotion de l’égalité de genre au sein de la société auprès des femmes, des jeunes et du grand public.  

Que pourrais-tu nous dire sur la situation des femmes au Maroc concernant les violences basées sur le genre ?  

S.B. : Concernant les violences basées sur le genre, il y a eu de nombreuses avancées au Maroc. On a depuis 2018, la loi n° 103.13, dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes. Bien qu’elle ait apporté d’importantes améliorations, il reste des lacunes. C’est une loi qui a permis de formaliser la mise en place des mécanismes de prise en charge pour les femmes victimes de violences, notamment des cellules de prise en charge au niveau des tribunaux. — Toutefois, il y a des avancées, on a une loi et on lutte pour sa bonne mise en œuvre. Cette loi a amené plusieurs choses positives dans la prise en charge, notamment avec des mécanismes de prévention mais aussi de protection des femmes et de mesures d’éloignement. Il est vrai que cela s’applique petit à petit et nécessite du temps pour être mis en œuvre. On a des centres d’hébergement qui relèvent des institutions étatiques mais aussi des ONG. Mais le manque est toujours important en ce qui concerne plus particulièrement l’hébergement spécifique aux victimes de violences. La prise en charge des femmes victimes de violences, dont les violences conjugales, est normée. À terme l’objectif est l’autonomisation et l’émancipation des femmes. C’est une approche pour laquelle nous luttons pour qu’elle soit prise en considération dans toutes les politiques de lutte contre la violence au Maroc.

Est-ce que tu peux nous parler des chiffres clés du dernier rapport que vous avez publié en 2023 ?  

S.B. : Le rapport regroupe les chiffres sur deux années, de juin 2021 à juillet 2023. Durant cette période LDDF-injadd et le Réseau Femmes Solidaires ont accueilli 9 474 femmes.  47 000 actes de violence ont été traités. Il faut prendre en compte également que lorsqu’une femme arrive, elle souffre généralement de plusieurs actes de violence simultanément. Ce sont généralement des violences physiques accompagnées de violences psychologiques. D’ailleurs, les violences psychologiques, sont les formes de violences qui accompagnent toutes les autres. C’est pourquoi il y a une différence entre le nombre de femmes accueillies et le nombre d’actes de violence traités. Pour la classification de ces actes de violence, on classe au premier rang la violence psychologique qui est estimée au taux supérieur de 46%,en deuxième position, il y a la violence socio-économique,en troisième position la violence juridique et pour terminer, la violence sexuelle. Lorsqu’on dit qu’il y un taux de “8%” d’actes de violence sexuelle, ce n’est pas que la violence sexuelle ne soit pas récurrente, au contraire, elle reste un tabou et ainsi, les femmes sont dans l’incapacité de dénoncer les violences générales et la violence sexuelle en particulier. Sachant qu’on est dans une société, où le patriarcat est toujours ancré, où les victimes de violences sont jugées par la société et deviennent presque responsables des actes qu’elles subissent.  

Est-ce que tu pourrais nous parler des activités qui sont déployées dans les centres d’écoute dans le cadre du projet 3inaya – SentinElles?  

S.B. : Le projet SentinElles nous a permis d’intégrer la composante sensibilisation à la santé sexuelle et reproductive (SSR), et plus particulièrement au droit à la santé sexuelle et reproductive (DSSR) dans la prise en charge des femmes victimes de violences. Donc, on a intégré cette sensibilisation dans les séances d’écoute individuelles qui se font d’une manière personnelle et individualisée avec les femmes.Durant l’écoute, l’assistante sociale et l’écoutante s’assurent que les droits à la santé sexuelle et reproductive de la victime et survivante de la violence n’ont pas été impactés par la violence. Si cela est le cas, elle est formée à des mécanismes d’orientation et de sensibilisation, notamment des orientations vers des dépistages IST en cas de viol. Lors des séances de sensibilisation, une importance est donnée aux thématiques du consentement dans les relations sexuelles, au choix de la contraception et au choix d’avoir des enfants ou non. Cela nous a permis d’intégrer ce volet qui est très important dans la prise en charge des femmes victimes de violence. Cela à travers les séances individuelles mais aussi à travers des focus groupes, qui sont des ateliers de discussion et d’échanges avec les femmes que nous organisons une fois par mois dans chaque centre d’écoute.

Toujours dans le cadre du projet 3Inaya-SentinElles, vous mettez en place des sensibilisations destinées au grand public. Nous aimerions en savoir plus sur la façon dont ça se déroule, comment c’est organisé et où ? Quelles sont les questions que les personnes rencontrées vous posent le plus souvent ?  

S.B. : Pour la sensibilisation destinée au grand public, nous mettons en place des campagnes de sensibilisation en célébration des journées internationales. Notamment pour la journée du 8 mars, les séjours d’activisme et également l’octobre rose. La sensibilisation, se construit en partenariat avec des institutions, tel que des centres qui relèvent de l’entraide nationale, de la jeunesse et des sports. Nous sommes allées dans ces centres pour rencontrer et faire de la sensibilisation auprès de femmes. Cela peut se réaliser également dans les locaux d’autres associations partenaires et dans certains centres de formation professionnelle qui relèvent de l’OFPPT (Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail). La sensibilisation se fait à travers les outils créés dans le cadre du projet 3inaya-SentinElles. Nous avons créé trois capsules de sensibilisation : une capsule sur les masculinités positives et le partage des tâches ménagères, une capsule sur les IST ainsi qu’une capsule sur les droits économiques des femmes et la participation à la vie économique pour les femmes. La sensibilisation se fait également à travers des exercices et des jeux qui ont été créés dans le contexte de lutte contre les violences, contre les stéréotypes de genre et des composantes de la DSSR : contraception, consentement, IST, cycle menstruel, hygiène. C’est intéressant car ce sont des sensibilisations dynamiques durant lesquelles les participant·es discutent. La sensibilisation par les vidéos est également importante car cela permet aux gens de visualiser. Dans chaque vidéo, deux situations sont présentées : une situation de départ et une situation du changement que l’on vise. Cela permet aux gens d’avoir les deux situations et de réaliser qu’il y a une différence. Il y a beaucoup de questions qui se posent, les gens interagissent. Les femmes possèdent des connaissances, qui sont parfois bonnes et parfois des choses qu’il faut plutôt corriger. C’est très participatif, très interactif et ce sont des ateliers qui suscitent l’intérêt des femmes et des participant·es.

Enfin, pourrais-tu nous présenter le Réseau Femmes Solidaires et ses actions ?  

S.B. : Le réseau Femmes Solidaires est un réseau d’associations composé d’une trentaine de structures, avec qui nous travaillons souvent, notamment pour le rapport annuel sur la violence qui est réalisé en collaboration avec ces associations. Par exemple, pour le dernier rapport, 19 associations ont participé à sa rédaction. Avec le réseau Femmes Solidaires, il y a 12 associations qui sont nos partenaires dans le projet 3Inaya-SentinElles à travers des « subventions en cascade ». Elles mettent en place des ateliers et des campagnes de sensibilisation sur les violences faites aux femmes (VBG), les DSSR et la lutte contre les stéréotypes de genre dans les centres de santé dans différentes régions du Maroc. Avec le réseau, nous organisons des séminaires, des activités, au niveau national et régional, en processus de renforcement de capacités de ces associations. Le réseau est aussi parmi les réseaux au Maroc qui font du plaidoyer pour le changement des lois et des politiques publiques, c’est un réseau qui accompagne toujours la FDLF-injad dans les grands moments de plaidoyer, comme en ce moment, pour la réforme globale du code de la famille. 

 

Pour découvrir les vidéos de sensibilisation faites dans le cadre du projet 3inaya – SentinElles :

Vidéo de sensibilisation à la masculinité positive

Vidéo de sensibilisation à l’autonomisation économique des femmes marocaines

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