Entretien avec Aminata DIARRA, sage-femme mauritanienne et référente régionale en organisation et qualité des soins chez Santé Sud nous dévoilant comment, à travers son travail, elle s’investit chaque jour pour promouvoir les droits des femmes. Un entretien réalisé à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes du 8 mars 2024.
Pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours professionnel ?
Aminata Diarra : Je m’appelle Aminata Diarra, sage-femme mauritanienne, occupant le poste de référente régionale en organisation et qualité des soins chez Santé Sud, dans le cadre du projet PasserElles.
Mon engagement en faveur des droits des femmes est au cœur de mon parcours professionnel. Après avoir obtenu mon diplôme de sage-femme, j’ai débuté ma carrière dans une ONG médicale internationale, où j’ai été immédiatement confrontée aux défis rencontrés par les femmes en matière de santé reproductive.
En dehors de mon travail chez Santé Sud, je me suis engagée en tant que formatrice dans un centre de formation professionnelle pour les personnes en décrochage scolaire. Mon objectif est de donner une seconde chance à ces jeunes, en particulier aux femmes, qui se retrouvent souvent confrontées à des obstacles socio-économiques les empêchant de poursuivre leur scolarité. Dans ce centre, je dispense des formations en délégation médicale et secrétariat médical, offrant ainsi à ces jeunes femmes les compétences nécessaires pour intégrer ou réintégrer le marché du travail. Je crois fermement en l’importance de l’autonomisation des femmes et je m’efforce d’y contribuer activement dans tous les aspects de ma vie professionnelle et personnelle.
Dans le cadre du projet PasserElles, mon rôle est renforcé dans la lutte pour les droits des femmes, en mettant l’accent sur l’amélioration du parcours des femmes enceintes. Je forme en continu les sages-femmes des centres de santé et des hôpitaux de Nouakchott, les accompagnant au quotidien pour améliorer la qualité des soins prodigués. Cet accompagnement inclut la lutte contre les violences basées sur le genre dans le parcours de soins de la femme enceinte, à travers des formations visant à promouvoir un accueil respectueux et non discriminant, ainsi qu’à éviter les pratiques obstétricales invasives.
Quelles sont les raisons qui t’ont poussées à militer pour les droits des femmes, et à t’impliquer dans le projet PasserElles ? Y a-t-il eu un événement déclencheur ou une prise de conscience particulière ?
A. D. : Mes motivations pour militer en faveur des droits des femmes sont profondément enracinées dans mon désir de contribuer à l’amélioration de la santé maternelle et infantile dans mon pays. En tant que sage-femme, j’ai été témoin des défis auxquels les femmes font face lors de leur parcours de santé, et cela m’a poussée à agir pour un changement durable.
Mon engagement découle également de plusieurs constats que j’ai pu faire au fil de mes interactions avec les patientes. Il est essentiel qu’elles aient une connaissance approfondie de leur propre corps, de leur sexualité et de leurs droits dès l’adolescence. Cela inclut également le droit à une planification familiale librement choisie, ainsi que la capacité de prendre des décisions concernant leur santé et celle de leur famille.
Je constate également la nécessité d’impliquer davantage les hommes dans la promotion de la santé maternelle et infantile. Cela implique de les sensibiliser sur leur propre santé et celle de leur famille, de les encourager à partager la charge des soins et des responsabilités familiales, et de promouvoir des relations de genre égalitaires pour dépasser les violences et les discriminations.
Je suis convaincue qu’un environnement de soins non-discriminant et inclusif est essentiel pour garantir l’accès équitable aux services de santé. Cela nécessite de cibler spécifiquement un changement des normes sociales de genre pour créer un environnement accueillant pour toutes et tous. Le projet Passerelles y contribue et c’est une source de motivation dans mon travail au quotidien.
Pourrais-tu nous raconter un moment ou une expérience clé qui a été particulièrement significatif⸱ve dans ton engagement au sein du projet ?
A. D. : L’une des expériences les plus marquantes de mon engagement au sein du projet PasserElles a été la valorisation de la parole des sages-femmes au sein des services de maternité.
Au quotidien, j’œuvre pour créer un environnement où les sages-femmes se sentent pleinement intégrées et écoutées. Ainsi, avec le soutien de mes collègues et des directions des différentes structures de santé, nous avons initié la mise en place de réunions de service permettant aux sages-femmes de partager leurs expériences, exprimer leurs préoccupations et proposer des solutions pour améliorer la qualité des soins dispensés dans leur service.
Ces réunions ont permis de favoriser un dialogue ouvert et constructif entre les sages-femmes, les médecins et leur hiérarchie. À travers ces échanges, les sages-femmes ont pu faire entendre leur voix, partager leur expertise et contribuer activement à l’élaboration de décisions et de protocoles de travail mieux adaptés à leurs besoins pour mieux répondre aux besoins des patientes.
Suite au démarrage de cette démarche collaborative, nous avons observé une amélioration significative de la qualité de travail au quotidien des sages-femmes, ainsi qu’une meilleure prise en charge des patientes. Les réunions de service ont également renforcé le sentiment d’appartenance des sages-femmes au sein de l’équipe médicale et ont contribué à créer un environnement de travail plus inclusif et respectueux.
Quels ont été les principaux défis rencontrés dans ton engagement et comment les as-tu surmontés ?
A. D. : L’un des principaux défis que j’ai rencontrés dans mon travail quotidien au sein des maternités est le faible niveau de formation initiale des sages-femmes, impactant directement la qualité des soins prodigués aux femmes.
Dans le cadre du projet PasserElles, nous dispensons des formations aux sages-femmes comprenant à la fois des sessions théoriques et pratiques. Ces formations couvrent un large éventail de sujets, allant de la tenue des dossiers médicaux à des compétences pratiques telles que le calcul du terme de la grossesse. Grâce à l’appui permanent de mes collègues, je peux dispenser ces formations de manière régulière, offrant ainsi aux sages-femmes l’opportunité d’acquérir les connaissances et compétences nécessaires pour améliorer la qualité des soins dispensés.
Mes expériences préalables au sein de plusieurs ONG, combinées à la formation continue dispensée par Santé Sud, m’ont permis d’acquérir les compétences nécessaires pour former à mon tour les sages-femmes au sein des maternités. Cette approche de renforcement des compétences à travers le compagnonnage permet de surmonter progressivement le défi du faible niveau de formation initiale, contribuant ainsi à l’amélioration des pratiques professionnelles et à une offre de soins de meilleure qualité, plus sûrs et plus respectueux envers les femmes enceintes.
Quelles sont les réalisations dont tu es la plus fière dans ce domaine ? Comment as-tu aidé à faire avancer l’égalité de genre ?
A. D. : Je suis extrêmement fière du travail mené par toute l’équipe du projet dans l’amélioration des conditions d’accueil des femmes au sein des maternités. Notre engagement a été crucial pour instaurer des changements tangibles et positifs.
Avec mes collègues, nous avons élaboré et mis en œuvre une stratégie visant à garantir des conditions d’hygiène optimales dans les maternités. Cette stratégie a impliqué l’organisation et le maintien des postes de travail propres, ce qui a considérablement amélioré la qualité et la productivité des services de santé maternelle. Concrètement, tous les personnels des structures de santé ont été mobilisés pour participer à la remise en état de leur service, ce qui a eu un impact direct sur la santé et le bien-être des femmes fréquentant ces établissements.
Il est important de souligner que le manque d’hygiène dans ces structures de santé avait des conséquences néfastes sur la santé des femmes, car elles étaient les principales utilisatrices de ces services. En mettant l’accent sur l’hygiène et en mobilisant l’ensemble du personnel pour maintenir un environnement propre et sûr, nous avons contribué à améliorer non seulement les conditions d’accueil des femmes enceintes, mais aussi la qualité globale des soins prodigués dans les maternités.
Quelle est ta vision de l’avenir des droits des femmes ? Quels changements souhaiterais-tu voir se concrétiser dans ton pays ou entourage ?
A. D. : Pour l’avenir, je souhaite que des progrès significatifs soient réalisés en faveur des droits des femmes mauritaniennes. J’espère que les textes de loi continueront d’évoluer en faveur des droits des femmes, notamment en ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes, afin de renforcer leur protection. Je souhaite qu’un cadre juridique solide soit établi pour prévenir et sanctionner toutes les formes de violence à l’égard des femmes, qu’elles soient physiques, psychologiques ou économiques.
Au-delà, je souhaite également voir se concrétiser une série d’initiatives visant à autonomiser les femmes mauritaniennes et à renforcer leur participation dans tous les aspects de la vie sociale, politique et économique du pays. Cela implique notamment la mise en place de politiques et de programmes visant à garantir l’accès équitable des femmes à l’éducation, à la santé, à l’emploi et à la représentation politique.
De plus, je suis convaincue que l’éducation et la sensibilisation jouent un rôle fondamental dans la promotion des droits des femmes. Il est essentiel d’investir dans des programmes éducatifs et de sensibilisation qui mettent en lumière les enjeux liés à l’égalité des genres et qui encouragent le changement des mentalités et des comportements discriminatoires.
En résumé, ma vision pour l’avenir des droits des femmes en Mauritanie est celle d’une société plus juste, inclusive et égalitaire, où chaque femme a la possibilité de réaliser son plein potentiel et de contribuer au développement et au bien-être de notre pays. Je reste optimiste quant à la possibilité de concrétiser ces changements positifs dans un avenir proche.
Quel message voudrais-tu transmettre aux autres femmes et à la société en général pour atteindre l’égalité de genre dans notre société ?
A. D. : Mon message pour toutes les femmes et pour la société dans son ensemble est celui de l’unité et de l’engagement en faveur de l’égalité des genres. Nous sommes plus fortes lorsque nous sommes solidaires les unes des autres.
Il est crucial de reconnaître que la lutte pour l’égalité des genres ne concerne pas seulement les femmes, mais aussi toute la société. Nous devons tous et toutes nous engager à déconstruire les stéréotypes de genre et à promouvoir des normes sociales inclusives et égalitaires. Cela signifie remettre en question les attitudes et les comportements discriminatoires, ainsi que soutenir activement les efforts visant à garantir l’accès équitable des femmes aux opportunités économiques, politiques et sociales.
Quel message souhaites-tu communiquer pour encourager l’engagement d’autres personnes ?
A. D. : J’invite chacun·e, indépendamment de son genre, à s’impliquer davantage dans la lutte contre les inégalités. C’est ensemble que nous pouvons construire un avenir où l’égalité, le respect et la diversité sont les valeurs fondamentales de notre société.