Depuis 2020, Louise Bourgeois est engagée à Santé Sud en tant que sage-femme. Forte de son engagement et de son expertise, Louise nous partage les détails de sa dernière mission de cinq semaines visant à renforcer les capacités des sages-femmes au Centre de Santé de Teyarett en Mauritanie.
Quels étaient les objectifs de ta mission ?
« Les objectifs de cette mission de cinq semaines étaient de renforcer les capacités des sages-femmes du Centre de Santé de Teyarett à assurer des soins pré et périnataux de qualité en salle d’accouchement. Il s’agissait d’accompagner la prise en charge des accouchements dans la bienveillance et en évitant les gestes invasifs. Il y avait également un volet de renforcement des compétences de la sage-femme major, et des équipes cadres du Centre de Santé, notamment dans leur rôle de supervision et d’organisation du service. Enfin, le dernier volet consistait à renforcer les RROQS, à savoir les sages-femmes qui travaillent à l’année avec Santé Sud, sur leurs connaissances et leur positionnement dans l’accompagnement des professionnel·les de santé mauritanien·nes.
Comment se passent tes journées en mission ?
C’est exactement la question que je pose aux sages-femmes sur le terrain pour l’organisation des activités ! Ma journée type en mission, c’était de partir le matin au Centre de Santé et dans un premier temps, j’assistais à la passation des sages-femmes, que j’ai accompagnées avec la mise en place d’outils qui ont pu être travaillés avec elles, ainsi que la major, sur la période de ma mission. Après ce temps, on s’adaptait en fonction de l’activité au Centre de Santé car le métier de sage-femme est un métier d’urgence et d’adaptation en fonction de l’activité. Certains jours il y avait beaucoup de travail avec donc un fort accompagnement au niveau des accouchements, d’autres où il y en avait un peu moins, et durant lesquels j’ai pu faire des ateliers formatifs ou aller du côté des consultations prénatales afin d’accompagner les sages-femmes. De retour au bureau en fin de matinée / début d’après-midi, il y avait alors des points de suivi avec les référent·es techniques ou avec l’ensemble de l’équipe afin de travailler sur les outils à mettre en place, ou bien des points avec Aminata, la sage-femme RROQS qui travaillait avec moi.
Quels sont les enjeux en maternité et pour le métier de sage-femme en Mauritanie ? Sur quels enjeux était-il prévu que tu travailles dans le cadre de ta mission ?
Un des grands enjeux pour la Mauritanie c’est la responsabilisation des sages-femmes, qui pour beaucoup ont un certain désintérêt, ou qui ont perdu l’envie au vu de leurs conditions de travail, qui ne sont pas forcément simples. Ces conditions, ce sont des conditions matérielles, mais aussi organisationnelles, avec peu d’esprit d’équipe et de support. Elles sont lâchées seules, sans vraiment de guide pour bien faire leur travail.
L’autre enjeu est un enjeu de compétences et de gestes pratiques qu’il s’agit de renforcer au niveau de la formation initiale, notamment au niveau des stages parce que les encadrant·es ne sont pas formé·es. Or, qui dit des stagiaires mal encadré·es, dit des futur·es professionnel·es avec des manques.
L’enjeu de ma mission était donc vraiment centré sur les sages-femmes. J’ai axé mon approche sur le fait que le rôle de sage-femme, ce n’est pas simplement de réceptionner un bébé, mais c’est bien de prendre en charge la femme et le bébé de manière plus globale, et tout cela dans la bienveillance et dans des conditions correctes, par exemple une table d’accouchement où il n’y a pas de tâche de sang.
Il faut faire comprendre à la sage-femme que c’est son rôle de vérifier que les conditions dans lesquelles elle travaille sont correctes, à la fois pour elle et pour les femmes qu’elle accompagne. C’est vraiment un des gros enjeux sur lequel j’ai essayé de travailler par la mise en place d’outils et l’accompagnement quotidien des sages-femmes.
Quels résultats concrets observes-tu ? Quels enjeux pour la suite du projet pour pérenniser ces résultats ?
Concrètement, aujourd’hui, dernier jour de mission, la maternité est beaucoup plus propre. Quand je suis arrivée, ce n’était pas possible pour moi d’accompagner les sages-femmes dans ces conditions. On a donc fait en sorte d’améliorer ces conditions avec un grand ménage de la salle de naissance et des outils, ainsi que la formation des différents corps de métier pour qu’il y ait un maintien. On a renforcé les filles de salle sur leurs différentes tâches, mais aussi les sages-femmes sur leur rôle dans l’entretien des locaux, et la major sur la supervision de cet entretien, avec notamment la mise en place d’une checklist pour cette dernière. Voilà sur le volet hygiène, PCI (Prévention et Contrôle des Infections) et organisation des soins.
Sur un volet plutôt d’accompagnement des soins, nous avons beaucoup axé sur l’amélioration du calcul du terme de la grossesse. Mais c’est un travail de répétition, c’est d’ailleurs un des enjeux pour la suite parce que les changements d’habitude se font sur le long terme. Plus généralement, pour l’ensemble des activités qui ont été menées, l’enjeu est un enjeu de répétition pour engendrer un changement d’habitudes, car on sait que les habitudes ne peuvent pas changer en claquant des doigts. L’enjeu est aussi de garder une dynamique comme celle qui a été mise en place, notamment avec l’implication de la major dans son rôle de supervision des activités. C’est ce qui va permettre de continuer ce qui a été mis en place, parce que comme j’ai aimé leur dire « quand le chat n’est pas là, les souris dansent ». J’ai été le chat pendant 5 semaines, mais il faut bien que quelqu’un prenne le relai.
Quels conseils donnerais-tu à un·e professionnel·le de santé qui souhaite partir en mission en Mauritanie ?
Tout d’abord, c’est de se défaire des préjugés que l’on peut avoir, d’essayer de partir avec une page blanche, parce que ce sera forcément très différent de ce que l’on peut connaître, en France ou même dans d’autres pays de la région. Il faut donc s’adapter à la culture mauritanienne.
Il faut toujours prendre un temps d’observation, même si on est sur une mission qui peut être courte, afin de s’imprégner un peu de l’ambiance, des sages-femmes, et du fonctionnement du service pour pouvoir mettre en place un plan d’action qui soit à l’échelle du temps que l’on reste. Ce plan d’action doit être ciblé, il ne faut pas être trop ambitieux. Il y a souvent tellement de choses à faire que l’on a envie de tout faire, et en faisant un peu de tout, on finit par ne rien faire. Il faut donc plutôt cibler quelques points très précis, et sur le reste on ne ferme pas les yeux mais on s’abstient d’être trop regardant. Bien sûr, si on tombe sur un cas particulier, on va l’accompagner, mais ce n’est pas la priorité de notre mission. Il faut faire des petits pas. J’aime bien prendre l’image de l’échelle, on sait qu’on veut viser haut, mais il faut déjà commencer par la première marche, puis la deuxième, etc. Parce que si on monte trop haut d’un coup, on va dégringoler toute suite.
Il faut aussi se dire qu’il ne faut pas baisser les bras, parce que cela peut parfois être un peu frustrant, en fonction des professionnel·les que l’on a en face. Et surtout, ne pas hésiter à répéter, ce qui n’est pas toujours un travail très gratifiant mais qui permet de semer quelques petites graines. Dans ce tout qu’on aura transmis, tout ne restera pas, mais il faut se dire que tant qu’il en reste un peu, c’est qu’on a rempli la mission. »
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